Les deux vies de Didier Louis
Après une première vie réussie dans le vélo, Didier Louis est devenu un personnage incontournable dans le monde hippique. L’incroyable destin d’un passionné.
Le destin aime faire des clins d’œil. Didier Louis en sait quelque chose. II y a un peu plus de 42 ans, lors de l’hiver 1971, le Normand âgé de 18 ans débarquait dans le bois de Vincennes alors qu’il se rendait sur Paris pour trouver du travail. « Je venais de trouver du travail dans une fonderie, à Bondy, et je cherchais un endroit pour dormir car je n’avais pas un sou en poche en attendant ma première paye. Pourquoi suis-je venu à Vincennes ? » s’interroge-t-il encore, « je n’en sais rien… le destin » Quand il n’est pas à la fonderie, au rythme des « trois-huit », ou dans sa voiture pour dormir, Didier Louis passe son temps à I ‘hippodrome. Le plus souvent en resquillant, faute de moyens pour payer son entrée.
Aujourd’hui, le natif du pays d’Auge, pays de trotteurs, a sa loge à Vincennes. Jockeys, entraineurs et propriétaires s’arrêtent sur son passage pour le saluer et discuter. Car Didier Louis est devenu une référence dans le monde hippique. Un véritable professionnel, connu pour son activité dans le monde des courses. Acheter, vendre, conseiller, rassurer, aider, élever même… Il sert de « tête de pont » – expression qu’il aime employer – à des dizaines de propriétaires qui lui font confiance. « La première partie de mon activité est de dénicher des chevaux, puis de les vendre à un ou plusieurs propriétaires (copropriétaires) », raconte aujourd’hui l’homme au regard passionné et à l’esprit avisé. Mais cela ne s’arrête pas là. « J’accompagne ensuite les propriétaires dans toutes leurs démarches, leurs relations avec les entraineurs, la gestion de la carrière d’un cheval… ». Le tout avec succès puisque l’homme revendique avec fierté plus de trois millions d’euros de gain générés par les chevaux conseillés à la vente sur les trois dernières années. « Et surtout, ajoute-t-il, qui ne m’appartiennent pas ». Car si Didier Louis possède des parts dans plusieurs chevaux, ce ne sont pas forcément les meilleurs. « Je fais ce métier par passion, pas pour l’argent. Sinon, je garderais les meilleurs chevaux pour moi. Mon plaisir, c’est de voir gagner un cheval que j’ai vendu ».
Un état d’esprit qui l’a toujours accompagné. Car Didier Louis n’a pas toujours travaillé dans le monde des courses. Les chevaux, c’est sa deuxième vie. Si Jackpot, Good Atout, Festina de Riez, Klarisse de Javie ou Pharaon Blue (liste non exhaustive), tous gagnants de nombreuses belles courses, font son bonheur aujourd’hui, Marc Madiot ou Thierry Marie, que l’on a notamment vu briller sur le Tour de France, sont les fiertés de sa première vie. 20 ans dans le monde du vélo, commencés en 1975 par l’ouverture de son premier magasin. Deux décennies marquées par la création de sa propre équipe amateur (d’où sont sortis les deux anciens maillots jaunes) et le rachat d’une usine de vélos aux Etats-Unis, un succès bâti sur le brevet du cadre carbone monoblok (une véritable révolution à l’époque). « En 1994, j’avais environ 500 personnes qui travaillaient pour moi, entre l’usine aux Etats-Unis et 300 points de vente en France… ». Les spécialistes de la petite reine n’ont pas oublié la marque « Didier Louis ».
Une sacrée aventure, qui a aussi connu ses heures fastes dans les années 80 quand un proche du gouvernement russe (membre du KGB ?) lui propose de devenir le directeur sportif de l’équipe de l’Armée Rouge. « J’ai accepté de bon cœur sans arrière-pensée politique, uniquement par choix sportif », insiste celui qui vit sa passion aujourd’hui sous les traits d’un homme d’affaires. La Russie avant les Etats-Unis, il n’y a que la passion qui peut donner un sens à ce destin.
La rupture a lieu en 1995. Sa deuxième passion, née 24 ans plus tôt clans le bois de Vincennes, prend le dessus. « Sur un coup de tête, je décide de tout bazarder, de changer de vie et de gagner ma vie dans le milieu du cheval ». Comme pour le vélo (il a failli passer professionnel à l’âge de 22 ans), ça commence par la compétition. « J’ai répondu à une annonce de Roger Vercruysse qui proposait des leçons de driver amateur. Nous avons très vite sympathisé et je suis en quelque sorte devenu son élève ».
Très vite, les succès s’enchaînent. Avec Deus, cheval acquis sur les conseils de son mentor, Didier Louis gagne près d’un million de francs. Mais celui qui a déjà été au bout de sa passion dans le cyclisme, ne veut pas s’arrêter là. Il décide de consacrer tout son temps aux chevaux et multiplie les expériences aux côtés d’entraineurs de renom (Michel Charlot, Pierre Vercruysse, Michel Lenoir…). Pour lui, le parallèle entre le vélo et les courses est évident : la victoire dépend à la fois des qualités physiques et mentales des athlètes mais également des stratégies de course adoptées.
C’est dans les rapports humains, avec les entraineurs, les propriétaires ou même les jockeys, que Didier Louis s’épanouit.
« Progressivement, j’ai mis mes connaissances acquises aussi bien dans les pelotons que sur les paddocks au service des futurs propriétaires animés par cette même passion, en leur conseillant des trotteurs ».
Il faut le voir renseigner au téléphone un petit propriétaire de province qui lui demande conseil, juste après avoir guetté le temps pour savoir s’il pourra bien faire sa sortie bihebdomadaire de 80 km à vélo, pour arriver à le cerner. II faut l’entendre s’attarder sur les belles choses de sa vie, en minimisant avec pudeur les déboires d’une enfance particulièrement difficile, pour comprendre que la passion est son moteur. Chez lui, elle s’exprime dans le travail… Et le sport. « Ce sont des vraies valeurs, qui vous permettent de vous en sortir. J’ai 61 ans, je me suis fixé 75 ans pour prendre ma retraite affirme-t-il avec le sourire, ajoutant immédiatement, « enfin, je dis ça aujourd’hui, mais d’ici là, si ma santé le permet, je rajouterais peut-être 10 ans ». Quel que soit le moment, quelque chose nous dit que des dizaines de propriétaires vont le regretter. Mais le destin aura sacrément bien fait son boulot.
« Mon plaisir, c’est de voir gagner un cheval que j’ai vendu ».
Texte : Stéphane Désenclos ; Photos Federico Pestellini & Florence Martin
Hippik N°5 Juillet / Août / Septembre 2013